mercredi 5 janvier 2011

De la censure et des putains (bonne année)

Quand la censure se maquille en choeur des Vierges pour interdire le mauvais art corrupteur de la jeunesse (qui est la seule corruptible, c'est bien connu), il est bon de rappeler que comme les autres, la censure ne sort de son lit qu'à condition d'être bien certaine qu'on parle d'elle. Toute oeuvre délictueuse qui n'aurait pas fait l'effort de parvenir jusqu'à ses chastes oreilles ne méritent donc pas de subir ses foudres, ce qui annihile tout de même en partie, vous en conviendrez, la portée de son idéologie d'apparat.


Il faudrait qu'on m'explique concernant ces livres que l'on interdit, ces expositions dont on limite l'accès, où est le véritable danger. Je veux dire : a-t-on un seul exemple de crimes, de guerres, de dictatures, de tortures organisés suite à la lecture d'un livre ou à la vision d'une exposition ou d'un film ? (que les spécialistes m'arrêtent mais je ne pense pas que la publication de Mein Kampf ait été le phénomène déclencheur de la montée du nazisme) (car, au cas où je ne serai pas claire, amis lecteurs fictifs, je suis résolument contre toute censure, même celle-là)

Car au fond, la censure protège qui ? Et de quoi ? Tout ceci est infiniment confus pour moi.


Prenons cette question qui me taraude et qui, allez savoir pourquoi, me semble fondamentale (amis lecteurs fictifs, j'en appelle à vos éclaircissements !) : pourquoi le cul, les films soi-disant X, les scènes de nus, les photos de Larry Clark, etc... sont si souvent victimes de la censure, alors que les scènes de violences, tortures, coupage de membres, égorgements, exécutions (j'en passe, j'ai l'embarras du choix) s'étalent dans quasiment tous les films, tous les livres et toutes les presses ?
Sincèrement, je suis nettement plus choquée par l'affiche des films Saw ou les gros titres du magazine Détective que par n'importe quelle scène de cul. Il n'est pas plus âme sensible aux images que moi. La censure prétend donc me protéger. Or, il me faut me débrouiller avec ces images violentes (et ça va, ne vous inquiétez pas, je survis...). Bref, il me semble évident qu'elle poursuit un autre but que la protection de ma sensibilité. Mais lequel ?


J'ai été heureuse de constater que Nicolas Fernandez de Moratin dans "l'art des putains" (18ème siècle) se joint à mon cri interrogateur, dans un style par ailleurs devant lequel je m'incline :

"C'est par convenance que nous gardons le silence sur ce que nous faisons. On verra une femme mariée proférer mille impiétés plutôt que d'avouer ce qu'elle fait le plus et lui plaît avant tout. Une dame honnête ne juge pas droit en croyant que demeurant froide, tout lui est dès lors permis. Les hommes, de leur côté, ne pensent pas de meilleure façon : on en verra beaucoup se flatter sans vergogne de tuer (l'horrible chose !), et manquer d'audace pour avouer qu'ils ont engendré. On n'a guère trouvé qu'une seule et même manière de faire les hommes. Mais, pour les défaire, combien de tours la mort n'a-t-elle pas inventés ! L'instrument qui les tue d'un coup fort est arboré tel un blason que l'on pend au côté, cependant que l'on dissimule et déshonore l'autre qui les fait. Les hommes, dans leur iniquité, couvrent de laurier celui qui tue un million de ses frères et vilipendent l'amant des femmes. Le grand Moctezuma, qui sut jouir, au creux des hamacs, des formes ravissantes de trois milliers d'entre elles, n'est-il meilleur sinon moins méchant que le sauvage Skanderberg qui tua trois milliers d'entre eux de son terrifiant yatagan ?"


C'est beau, non ?