vendredi 28 mars 2014

Guerre et Guerre

J'avoue que là, au niveau du titre déjà, j'étais conquise. Reste à vous donner le nom de l'auteur, ce qui va me bouffer 2 mn 30 de mon insignifiante vie, voyez plutôt : Laszlo Krasznahorkai. Et je m'excuse auprès des Hongrois de ne pas respecter les accents mais force est de constater que votre langue aux sombres origines me fascinent et si en plus, vous nous catapultez des auteurs pareils, pas étonnant que j'ai envie de vous faire des bisous.

Alors bien sûr, je pourrai vous résumer l'histoire de Korim (un type chauve à grandes oreilles et en manteau élimé, pas de quoi enlever son slip) qui veut aller à New york pour copier un manuscrit sur l'Internet avant de mourir. Donc, voilà, bien sûr, je vous ai résumé l'histoire mais c'est ça qui est cool, c'est que j'ai rien dit du tout quand j'ai dit ça, que quoi qu'on dise, on ne dit rien de ce livre, tout ce qu'on peut faire, c'est le lire.

C'est l'histoire d'un archiviste qui "... se contentait de maintenir l'Histoire en vie, pourrait-on dire, mais s'il passait toujours à côté de la vérité, le fait d'en être conscient lui apporta une assurance totale, une sérénité, une stabilité, voire même , dans un certain sens, une forme d'invulnérabilité, c'était comme si, après avoir reconnu que son travail était inutile puisque dénué de sens, ce manque d'intérêt et de sens recelait une mystérieuse et incomparable douceur..." (je penserai à ça la prochaine fois devant mon tableur Excel)(et j'expliquerai ça aussi à mon entretien d'évaluation tiens...)

Je suis obligée de découper des bouts de phrase parce qu'elles ne s'arrêtent plus. C'est comme Korim qui n'arrête pas de parler, parler, parler à tous ceux qu'ils rencontrent et on sent bien que vraiment on est content de ne pas l'avoir croisé parce que c'est un sacré pot de colle, comme je vous le disais, ce type est juste fait pour être lu, il a l'air de s'en douter à sa manière, remarque. C'est comme le pote à Violette Leduc qui n'en pouvait plus de l'entendre chouiner sur son enfance malheureuse et qui l'a envoyée dans les bois avec un cahier et un stylo, d'une pierre deux coups : une écrivaine et la paix. Il faudrait que je pense à trop parler de moi tout le temps peut-être...

Gloablement, Korim, il a soûlé tous les gens qu'il a croisés, sauf une bombasse hôtesse de l'air qu'il a rencontrée dans une agence de voyage :

"...bref, l'association de cette beauté royale portée avec modestie et de ce clochard dégénéré perturbait gravement la vie de cette agence, allant même jusqu'à provoquer peu à peu un scandale..."

Et c'est vrai quand on y réfléchit, qu'on a tendance à être choqué quand une belle personne en fréquente une répugnante, et que une fois qu'on le lit, on se dit que c'est con. Et non, ça n'a rien à voir avec la Belle et le Clochard, parce qu'ils ont fait exprès en choisissant le chien qui joue le clochard, de le prendre avec une belle gueule. C'est pareil pour la Belle et la Bête. Ils y arrivent pas les types à vraiment laisser une belle s'éprendre d'un répugnant, ça a l'air de toucher à un truc rudement tabou pour eux (pour tout le monde certainement). Blier, il y est parvenu maintenant que j'y pense, dans les Valseuses, dans Trop Belle pour Toi, dans quasiment tous, il y a de ça... Il en fallait un sacré de sale gosse pour oser ça, il doit y en avoir plein d'autres en vrai, je vais y réfléchir, tiens...

Et puis, il y a ce passage, que je pourrai me réciter comme un mantra, jusqu'à le sortir complètement de son contexte, juste parce que j'ai l'image en tête et quelque chose en plus qui me donne des frissons tellement c'est beau comme le passage préféré de sa chanson préférée qui fait le même effet à chaque fois qu'on l'entend :

"...ils quittèrent la folle circulation de la Twelth Avenue, s'élancèrent joyeusement sur West Side Elevated Highway, rirent, rirent à gorge déployée un bon moment dans la cabine du chauffeur, après quoi ils se mirent à regarder autour d'eux, les yeux brillants et la bouche ouverte, éblouis par le tourbillon des phares, les mains posées sur les genoux, trois paires de mains aux doigts déformés à force de charger et décharger, trois paires de mains posées sur les genoux, et une quatrième, celle de Vasile, occupée à tourner le volant à droite, à gauche, alors qu'ils s'enfonçaient dans le coeur de cette ville inconnue, terrifiante, figée dans l'espérance."

Et parfois Korim s'arrête de parler et réfléchit et sort des trucs comme ça : "Il existe une relation forte entre les choses proches, une relation faible entre les choses distantes, et entre les choses très éloignées, il n'y a plus aucune relation, et là, on touche au divin, dit Korim..." où tu te dis, ça a l'air de sonner juste, mais je suis pas sûre de bien saisir ce qu'il veut dire alors je vais le noter dans le blog pour quand je serai assez grande pour le comprendre.

Enfin, bien sûr, tu me connais maintenant, on ne pouvait pas s'en sortir sans parler de la mort, sans quoi à quoi bon les mots ? Et voilà ce qu'il en dit Korim : "Quand nous mourons, la mécanique continue de fonctionner, et c'est ce qui, pour les hommes est le plus terrible, fit Korim, interrompant le fil de son récit, et il baissa la tête, s'évada un instant dans ses pensées, puis son visage se crispa de douleur, et il se mit lentement à faire des mouvements de rotation de la tête en disant : alors que le fait même que cela continue de fonctionner prouve qu'il n'y a pas de mécanique."

Ce qui est une très belle transition vers Kurt Konnegut que nous aborderons lors de notre prochaine entrevue. Une toute belle journée à toi, lecteur fictif !