samedi 6 juillet 2013

Bollywood Springbreaker

J’ai remarqué en relisant quelques post (je me relis de temps en temps, ça m’aide à rester humble) que quand j’étais en Champagne, j’avais des velléités politiques, j’ai même failli défendre des causes. On notera à ma décharge que l’isolement et la campagne présidentielle constituent des circonstances atténuantes. Quand je ne vois personne, j’ai envie de changer le monde alors que quand je vois du monde, je n’ai plus envie de changer personne (c’est un point sur lequel on a toujours différé, Mouammar et moi).

Néanmoins, quelque chose me turlupine. 

Y’a quelque chose qui me turlupine, j’suis pas Monroe c’est pas James Dean, C’est vrai qu'c’est pas vraiment un choix, Mouammar Khadaf’et moi »)(Delerm, sors de mon corps, veux-tu ?)



Je disais donc : quelque chose me turlupine.

Quand on parle politique, c'est compliqué, on a toujours l'impression qu'il faut choisir son parti avant d'avoir réfléchi. C'est embêtant parce que ça parle beaucoup de comment vivre avec les autres, qui ont l'impudence de pas être pareils, et on a souvent l'impression qu'il faut être soit pour soit contre (comme si on avait le choix). Avec une telle alternative, c’est difficile de ne pas se sentir un peu con quoi qu’on en dise (la connerie, c’est un genre d’impasse dans laquelle il faut boire beaucoup de vin blanc pour avoir une excuse valable pour pas en sortir). Ce binarisme, c’est la mort de la conversation et la mort de la conversation, c’est l’extinction du bidonnage et l’extinction du bidonnage, c’est l’heure d’aller se coucher.

Cette semaine, j’ai pas mal causé de tout ça avec Henri Michaux qui me racontait ses vacances en Inde. ça m'a rappelé mon année en Chine où des fois j'y comprenais rien et où des fois ils m'énervaient tous, là, à être pas pareils et à faire caca la porte ouverte. Henri, il a pas mal réfléchi à tout ça. Bon, moi, je lui ai pas caché ma fascination pour le peuple indien : cette capacité à s’auto-recycler en permanence, c’est vachement puissant. Ils meurent, on les brûle, on les jette dans le Gange et paf, ils se réincarnent. Je suis sûre qu’ils s’auto-recyclent tellement qu’ils font jamais caca (eux). En deux heures de méditation, ils arrivent à transformer leur Tandoori directement en poils de barbe (oui j’ai le mojo un peu scato ces derniers temps)(mais Mao aussi l’était)
(c’est vraiment une cool excuse : « Trevor, arrête tu veux, tu es ridicule, et vulgaire en plus. – C’est bon, lâche-moi, Mao aussi l’était. » / « Mouammar, arrête de nier. Je le sais : tu étais chez la voisine cet après-midi. – Mao aussi y était. »)
Henri n’a pas relevé mon propos (mais j’ai l’habitude : il parle, il parle, il parle mais il écoute jamais rien)(ça va qu’il me fait bidonner) :

Alors déjà, faut savoir que si t'es une veuve ou un chien, t'évites l'Inde : ça se passera forcément pas bien.

Ensuite, il commente le style épique du Mahabarata (c'est un grand poème de mythologie hindoue, un genre de L'Iliade et L'Odyssée)(oui, il s'est pas contenté de goûter leur cuisine) :
"Le ton épique d'ailleurs, comme le ton érotique,a quelque chose de naturellement faux, artificiel et volontaire, et semble fait pour la ligne droite.
Quand vous avez comparé un soldat courageux à un tigre au milieu des lapins, et à un troupeau d'éléphants devant un jeune bambou, et à un ouragan emportant des vaisseaux, vous pouvez encore continuer dix heures de la sorte avant que vous nous fassiez lever la tête de nouveau. On a tout de suite atteint le sommet et on continue en ligne droite.
De même pour les ouvrages érotiques, après deux ou trois viols, quelques flagellations et actes contre nature, on ne s'étonne plus, on continue à lire en somnolant.
C'est que l'on n'est naturellement ni épique ni érotique."

Là, c'est sur le binarisme, j'ai kiffé :
"L'Occidental sent, comprend, divise spontanément par deux, moins souvent par trois, et subsidiairement par quatre. L'Hindou plutôt par cinq ou six, ou dix ou douze, ou trente-deux ou même soixante-quatre. Il est extrêmement abondant. Jamais il n'envisage une situation ou un sujet en trois ou quatre subdivisions." Et il précise "inutile de dire que notre division par 2 ou 3 ne correspond pas davantage à une réalité". On n'est pas soit chaud, soit froid. Mais on ne peut pas s'empêcher de commencer à penser comme ça. "L'Indien voit d'avance tout. Et quand il ne possède pas les 34 éléments pour diviser une question, il inventera les 10 ou 15 qui lui manquent. Comme un Européen qui ne sachant rien d'une affaire, commence tout de même par la diviser par 3."
J'ai adoré ce passage parce que depuis, quand on me pose une question, ou qu'on me demande mon avis, j'essaye de ne plus être binaire. "ça va ? - Au réveil : comme la rosée sur le point de s'évaporer, sous la douche : comme un hipocampe, j'ai bu un café comme un oeuf dans un calzone, j'ai fait caca comme un fou comme un roi, puis je sorti pour affronter le tsunami de la vie. Et toi ?"

Ensuite, il donne un exemple de réfléxion à l'indienne qui m'a bien fait bidonner à cause de la conclusion :
"(...) Du contact vient la sensation. De la sensation vient la soif. De la soif vient l'attachement. De l'attachement vient l'existence. De l'existence vient la naissance. De la naissance viennent la vieillesse, la mort, le chagrin, les lamentations, la souffrance, l'abattement, le désespoir." (perso, je suis en train de passer du stade 2 ou stade 3, mais j'ai du mal parce que la soif, c'est cool)('façon, je prends mon temps, je suis pas spécialement pressée d'arriver au bout)


Ah ! L'éléphant, j'avais commencé à vous en parler : visiblement, Henri Michaux a été très très déçu par l'éléphant : "Naturellement, un éléphant on ne peut jamais s'y fier. Un pétard le met en fuite. Il est calme. Mais il n'a aucun sang-froid. Au fond, c'est un fébrile. Quand ça ne va plus, il s'affole et alors, il faut au moins un immeuble pour le retenir. Même quand il est simplement en rut, il s'affole. (...). De plus, vindicatif comme un faible. Il vaut mieux ne pas parler de son regard. Tout homme qui aime les animaux est déçu par son regard. " (si c'est pas l'insulte qui tue, ça)(du coup, j'ai pas osé dire à Henri que je me sentais quand même assez proche de son éléphant...)

Après il se fout de la gueule des armées indiennes et il dit : "Il ne faut pas nier la valeur de la magie. Néanmoins, elle donne des résultats insuffisants."


Dans le top 5 des notes de bas de page les plus cools du monde : "Le sperme met l'Hindou dans un état de jubilation mystique. Il en voit ses déesses couvertes." ça m'a rappelé que c'est dans une note de bas de page que j'ai appris que catin et catholique avait la même éthymologie. J'en conclue que c'est dans les notes de bas de page que sexe et religion se réconcilient (la note de bas de page est-elle la back-room de la littérature ?).

Et en parlant de religion, les Indiens aussi (aussi parce que y'a le vaudou, souvenez-vous) ils ont plein de dieux qui font n'importe quoi, plutôt qu'un seul qui est tellement parfait qu'il fait jamais rien. Je suis sûre que ça aide à pouvoir envisager la complexité de la vie sans faire d'AVC. Il raconte notamment une cool histoire de coucherie où Shiva, il se fait surprendre par 2 autres dieux en train de ramoner quelqu'un qu'il devrait pas. Mais il s'en bats les couille, il continue jusqu'au bout et après, il se lève, il se touche le zgueg (ou "sa nature" selon l'époque) en disant "celui qui l'adorera, c'est moi qu'il adorera".

 C'est vraiment une cool religion.

Après, il parle des castes, mais vous avez qu'à le lire. Après il parle aussi des prescriptions, que les Indiens, ils kiffent qu'on leur prescrive des milliards de trucs (y'a qu'à voir le Kama Sutra). Et là, il est un peu déçu, Henri et on le comprend. Il espérait qu'on allait lui donner tout un tas de prescriptions qui allaient enfin résoudre tous ces problèmes. Et tout ce qu'on lui a dit c'est de pisser en ne respirant qu'avec la narine gauche et de se mettre l'auriculaire dans l'oreille après le coucher du soleil. Pô évident.

Après, il démonte un type qu'il a rencontré et là encore, on se dit qu'il vaut mieux être dans ses petits papiers, le Michaux, parce que quand il te démonte, il a trop pas de pitié : "Il était au dessus de la misère humaine, inacessible plus qu'indifférent, avec une bonté presqu'invisible, et aussi peut-être un air légèrement peiné comme ces personnes atteintes de gigantisme, ou qui possèdent plus de talent que de personnalité."

Après (je vous ai dis qu'il était über-bavard) il se fout de la gueule des religieux qui lèvent les bras au ciel mais jamais les uns vers les autres et il enchaîne : "Tout le monde connaît ces poètes qui vous entassent pendant des années, des milliers de vers qui ont tous la larme à l'oeil. Bon, mais essayez de leur emprunter cent sous, essayez pour voir. La "faculté poétique" et la "faculté religieuse" se ressemble plus qu'on ne le pense.



(La littérature, c'est sans pitié que je la préfère).

Et sur Gandhi qui a dit à un moment que les Anglais pouvaient rester à condition qu'ils arrêtent de tuer des boeufs : "Moi, cela m'a ému extrêmement. Pour penser que des Anglais pourraient se priver de beef au profit d'un étranger, il faut vraiment être un homme qui croit à l'esprit de conciliation."

Mesdames et messieurs, c'était "Un Barbare en Asie" de Henri Michaux.
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mardi 2 juillet 2013

"Life doesn't imitate art, it imitates bad television." —Woody Allen

Etre acteur de sa propre vie, c’est un truc qui a l’air de bien sonner mais qui n’a pas la moindre espèce de sens si on y réfléchit deux minutes (c’est comme de dire qu’on est exigeant avec les autres parce qu’on l’est avec soi-même, comme me le faisait remarquer Gazoline : si on était exigeant avec soi-même, on n’aurait pas besoin de l’être avec les autres, c’est juste une excuse pas valable pour emmerder le monde), donc être acteur de sa propre vie, pareil, ça n’a pas la moindre espèce de sens. Parce qu’on n’a pas le scénario avant, qu’on ne répète rien, et qu’on ne peut pas mettre les trucs moches hors champ, etc.


Bilan : c’est de l’improvisation permanente, pire même, parce qu’on ne connaît pas le thème qui a été pioché (mais si vous savez, les matchs d'impro : ils piochent un thème, une contrainte et ils ont une minute pour décider quoi faire avec leurs coéquipiers)(par ex, thème : 2001, l’odyssée de l’espace/contrainte : moustache)(c’est déjà pas évident alors quand t’es pas prévenu…). Dans la vie, on n’a pas non plus le temps de consulter les autres pour savoir quel personnage ils vont jouer et qui va commencer par faire quoi.
Quand t'arrives à une soirée où tu connais personne, tu commences pas à répartir les rôles (c'est dommage, je vous l'accorde)(Toi : tu me parles pas. Toi : tu rigoles à toutes mes blagues. Toi : tu cherches à m'embrasser toute la soirée, je te dis pas encore ce que je vais faire. Toi, tu t'occupes du barbecue. Etc...)(Finalement, je les comprends un peu, les Mouamar, Kim Jong Il et tous ces gens, c'est sûrement des types très angoissés par l'inconnu)(quand je vous disais que j'avais le mojo stalinien).
 
Mais si t'es pas dictateur, la vie, ça consiste un peu à être poussé sur scène tous les matins (alors que t’as rien demandé), tout le monde te regarde, tu sais pas ce qu’il va se passer, y'a un grand silence... et d'un coup, tout le monde se marre. Ou se lève et se barre en courant. Et toi, tu fais quoi ? Tu vas quand même pas descendre de scène (t'es pas un pédé)(tu peux boire du vin par contre).

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que, dans la vie, on rate 95% des scènes qu’on joue (pour les plus doués d’entre nous)
(Vous aussi, vous vous les repassez en imaginant comment vous les rejoueriez tellement mieux ?)
(rires sardoniques)
(ça n’arrivera pas).

Achievement is a myth. Life is just about trying.
Bonne journée.