vendredi 4 avril 2014

"Ce à quoi Billy Pélerin ne pouvait rien couvrait entre autres, le passé, le présent et le futur"

Pour une fois, je vais tenir ma promesse du post précédent et je vais vraiment vous parler de Kurt Vonnegut, qui est un auteur rigolo avec une moustache.

(quel filou !)


Je n'ai lu qu'Abattoir 5 (ou la croisade des enfants), pour le moment, mais je sens bien qu'il n'en a pas fini avec moi, alors on y reviendra sans doute.

Pour celui-ci, ça raconte l'histoire de Billy Pélerin (Pilgrim, en anglais, c'est important, mais vous saurez pourquoi à la fin de ce post)(on sent que je commence à maîtriser les techniques narratives). Dans la vie de Billy, il se passe tout un tas de trucs comme dans toutes les vies, mais il y a tout de même deux évènements majeurs : sa présence lors du bombardement de Dresde à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, même que c'était une sacrée boucherie, et sa rencontre avec les Tralfamadoriens, des habitants d'une autre planète qui ressemblent à des spaghettis avec une petite main en guise de tête (et de main) et un oeil dans la paume. Ils sont verts comme de bien entendu et malins comme des singes, probablement un peu plus, je ne m'y connais pas en singe mais ils savent tout un tas de trucs, comme nous le raconte Billy :
"Ce que j'ai appris de plus important à Tralfamadore c'est qu'une personne qui meurt semble seulement mourir. Elle continue de vivre dans le passé et il est totalement ridicule de pleurer à son enterrement. Le passé, le présent, le futur ont toujours existé, se perpétueront à jamais. Les Tralfamadoriens sont capables d'embrasser d'un coup d'oeil les différentes époques, de la façon dont nous pouvons englober du regard la chaïne des Rocheuses, par exemple. Ils discernent la permanence des instants et peuvent s'attacher à chacun de ceux qui les intéressent. (...) Un Tralfamadoriens, en présence d'un cadavre, se contente de penser que le mort est pour l'heure en mauvais état, mais que le même individu se porte fort bien à de nombreuses autres époques." Voilà pourquoi ça peut constituer un évènement sacrément important dans une vie de croiser ces spaghettis verts, ça détend. Ce qui est chouette, c'est que du coup Kurt, il s'autorise à ballader Billy et son lecteur, où il veut et quand il veut dans le temps, ça détend.

Mais, comme je vous le disais, il y a eu la guerre aussi, et comme tous les sujets qui laissent sans voix ("cui cui"), on a besoin d'en parler : "Les Allemands et les chiens étaient engagés dans une opération militaire qui porte un nom aussi amusant qu'éloquent, une de ces aventures humaines qu'on décrit rarement en détail et dont la mention seule, aux informations ou sous la plume d'un historien, procure à de nombreux fervents de la guerre une espèce de satisfaction post-coïtale. C'est, dans l'imagination des mordus de la bagarre, le jeu amoureux exquisément nonchalant qui succède à l'orgasme de la victoire. En d'autres termes, "le nettoyage"". Bon, à ce stade-là, moi, j'ai rien à ajouter, je saisi juste Kurt par ses moustaches et je lui fais des bisous. Après tout, quand c'est si bien et justement écrit, le plus bel hommage est de fermer sa gueule. Et de faire des bisous.

Continuons donc à lui lécher les moustaches : "[Juderose] [(c'est le pote d'asile psychiatrique de Billy)] a dit que tous les fruits de l'expérience humaine étaient contenus dans les Frères Karamazov de Dostoïevski. "Mais de nos jours, ça ne suffit plus", a-t-il ajouté. Billy a eu également l'occasion d'entendre Juderose avertir un psychiatre :"J'ai l'impression qu'il va falloir que votre corporation invente une série de mensonges inédits et merveilleux, ou les gens vont simplement renoncer à vivre."" Slurp !

Il faudra que vous lisiez le livre pour savoir comment il arrive à cette conclusion : "Mais en fait le message des Evangiles est celui-ci : Avant de tuer qui que ce soit, assurez-vous bien qu'il n'a pas de hautes relations." Je vous promets que c'est parfaitement argumenté.
D'ailleurs, lecteur fictif, si tu as à ce stade, envie de lire ce livre, arrête tout de suite de lire le blog et cours, cours jusqu'à perdre haleine et va le retrouver.

La suite de ce post m'est égoïstement destinée, je ne veux pas oublier qu'un jour, j'ai lu ça et que ça m'a gonflé le coeur (de tristesse, de soulagement -je me disais bien aussi- et puis enfin d'espoir, quand même un peu, car si on peut l'écrire, alors c'est qu'on peut y faire quelque chose... non ?...)(et il est probable que toutes ces heures que je passe en ce moment dans ces tours de la Défense à l'intérieur desquelles des micro-sociétés aux fonctionnements absurdes font mine de t'expliquer qui tu devrais être contribue à l'émotion que j'éprouve en lisant ces lignes. La vie est spongieuse, isn't it ?) : "L'Amérique est la plus riche nation du monde, mais ces citoyens sont souvent pauvres et quand ils le sont, on pousse chacun d'eux à se haïr. [...] En fait, c'est bien un crime [...] d'être démuni [...]. [...] la tradition populaire cite des exemples d'hommes besogneux mais remplis de sagesse et par là plus estimable que quiconque possède or et grandeur. Les gueux du Nouveau Monde n'ont pas de telles légendes. Ils se rabaissent et glorifient leurs supérieurs dans l'ordre social." (j'ai pas mal découpé ce passage mais c'est parce que Kurt, il voit ça comme une spécificité des Etats Unis, alors que force est de constater aujourd'hui que ça se répand dans le monde telle la peste bubonique)(et aussi parce que je fais ce que je veux avec le blog).
Ca se poursuit logiquement, et puis soudain, on en est là : "Au fil de l'histoire, toute armée, prospère ou non, s'est attachée à habiller ses hommes, même de rang modeste, de façon à ce qu'ils considèrent et soient considérés experts de haute volée en ripailles, copulation, pillage et trucidage. L'armée américaine, cependant, envoie ses recrues au combat et à la mort dans une version revue et corrigée du complet-veston, de taille régulièrement inadéquate, tas de hordes désinfectées mais non repassées qu'une oeuvre charitable hautaine distribue aux ivrognes des taudis. Quand un fringant officier s'adresse à un pauvre type si mal fagoté c'est pour le réprimander comme il se doit. Mais le mépris dont fait preuve le gradé n'a rien à voir avec les conventions paternalistes qui règnent dans les autres armées. C'est une pure expression de haine envers les pauvres qui sont seuls responsables de leur triste sort. Un dirigeant de prison mis en présence de détenus américains pour la première fois doit être averti : il ne lui faut s'attendre à aucune fraternité, même entre frères. Il n'existe nul sens de la solidarité. Chacun agit en enfant boudeur qui bien souvent se voudrait mort." Va prendre le métro maintenant.


En fait, c'est le seul reproche que je ferai à Kurt : il est très américanocentré et il voit le reste du monde comme une entité homogène qu'il idéalise un tantinet mais il a de telle fulgurance de lucidité que je lui pardonne (je suis très magnanime avec les gens que j'embrasse).

Et enfin, car on ne le rappelle jamais assez, c'est si pernicieux (et parce qu'on en profite pour apprendre un joli nom de maladie mentale) : "L'écholalie est un désordre mental dans lequel le sujet répète immédiatement les mots que les bien-portants profèrent autour de lui. Billy n'en souffrait pas vraiment. Rumford le prétendait dans le but d'assurer sa propre paix d'esprit. Rumford raisonnait selon les normes militaires : un gêneur, dont il aurait bien aimé se débarrasser pour des raisons d'ordre pratique, était atteint d'une infirmité choquante." Je me demande au passage si le blog ne souffre pas depuis quelques post d'un genre d'écholalie littéraire...

Ah ! Une insulte cool en conclusion (ça devrait plus souvent servir à ça, la littérature, inventer des insultes cools) : "Va-t-en enculer la lune !", en anglais, ça sonne excessivement cool : "Go and fuck the moon !"


J'ai failli oublier : Pilgrim. Parce que c'est le titre du bouquin que je suis en train de lire, de Thimothy Findley et que si c'est par hasard que je les ai enchaînés, ce n'est apparemment pas par hasard que les 2 héros de ces 2 livres portent le même nom, ce qui constitue un drôle de hasard (oui ? non ?)