Je viens de finir l'œuvre magistrale. J'ai posé un point final sur mon manuscrit. Je l'ai fait. Je l'ai fini. And now, what ?
Maintenant, je bougonne. Je prétends que c'est parce que j'ai peur que ça soit le plus mauvais de tous les livres qui n'ont jamais été publiés. Mais en réalité, je crois que c'est parce que je me plais à bougonner quand j'ai rien de mieux à faire. Et qu'écrire un livre était somme toute une activité merveilleusement absorbante. J'aime être absorbée. Sans quoi je bougonne. Qu'on se le dise.
Bougonner, c'est cool aussi parce que c'est corrélé au fait de ne parler que de soi (essayez : si vous vous mettez à penser sincèrement aux autres, à les écouter et à vous préoccupez d'eux, vous ne pourrez instantanément plus bougonner). Si le bougonnage est excessivement désagréable pour l'entourage, on l'aura compris, il est une source d'inspiration inépuisable, et en outre, de mon point de vue, il est à la source de pas mal de génies (déjà cité dans le blog cool : Cioran, Holden Caufield from Salinger, Burroughs...)(que j'ai découvert récemment : BS Johnson, Harvey Pekar) (et que j'aime d'amour depuis toujours : Céline, Louis Ferdinand Céline, oui, lui, et puis d'abord je mettrai que lui dans cette rubrique parce que j'emmerde Frédéric) .
Bref, je suis ravie d'être bougon, car c'est la preuve que je suis géniale.
Alors, certes, sous pas mal d'aspects, être géniale, c'est pas mal. Le problème c'est que c'est vraiment pas cool pour tous les gens qui m'aiment, ce qui représente à peu près le PIB du Botswana (?). Absolument. Reprenons les exemples cités ci-dessus, ce sont quand même des types odieux, avec leur femme pour la plupart (y'en a même un qui a tiré sur la sienne en se prenant pour Guillaume Tell), qui ont une forte tendance à l'autodestruction voire au suicide, qui passent leur temps à trouver honteux que les autres ne les vénèrent pas à la hauteur de leur talent et qui pensent que leurs contemporains sont des sous-merdes gluantes. En résumé, ils regrettent le temps de la cavalerie. Autant dire que ces gens sont infects. Et là du coup, je suis un peu moins emballée à l'idée d'être géniale.
Or, c'est dommage parce qu'être géniale, ça serait cool, ça voudrait dire que quelques personnes (je n'aimerai pas faire l'unanimité)(les grands génies ne font jamais l'unanimité)(d'ailleurs, relisez ce post depuis le début en pensant à Carlos et à sa mère et vous aurez une preuve supplémentaire que le bougonnisme est une réalité) aiment vraiment mon livre et attendent avec impatience le suivant (et qu'en attendant ils m'invitent à boire du champagne)(sempiternellement). Mais est-ce que ça voudrait dire que je suis un monstre et que je mange les enfants tout crus en compagnie de mes amis nazis ? Ou que je me touche avec des lézards amputés ?
Non. Bien sûr. Car dieu merci, à l'inverse : ce n'est pas parce que je mange des lézards que je ponds des chefs d'œuvre (il faudra que je tape cette phrase dans Google pour voir ce que ça ramène...)(une autruche qui court et une affiche "la France pue")(ça se tient). En fait, que je bougonne ou non, ça ne changera rien à ce que j'écris, ni au fait que ça plaise ou non à mes lecteurs, si tant est que je parvienne à en avoir qui n'explose pas en vomis sardoniques avant la fin du premier chapitre (qui fait une demi-page).
Bref. Vous voyez où je veux en venir.
Non ?
(Putain. Mais si personne capte que dalle quand je cause la littérature, je vais faire comment, moi, pour réussir le concours infernal !)(dites-moi pas qu'il va falloir que je bosse et que j'apprenne par coeur les théories des autres !)(dites moi pas ça !) (c'est tellement si cool d'ergoter sur le bougonnisme...). Bon, ben, je vais laisser quelqu'un d'autre le dire de façon plus académique, tas d'idiots. (hihi ! Je bougonne encore !). Le type en question s'appelle Milan Kundera, autant dire que c'est pas un débutant :
"Le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison : celle de son roman." (et voilà ce que je disais !)(quand on en reste au stade des 3 petits cochons, tout le monde comprend mieux...) "D'où il résulte que les biographes d'un romancier défont ce que le romancier a fait, refont ce qu'il a défait. Leur travail, purement négatif, ne peut éclairer ni la valeur, ni le sens d'un roman; il peut à peine identifier quelques briques. Au moment où Kafka attire plus d'attention que Joseph K., le processus de la mort posthume de Kafka est amorcé."
Et aujourd'hui, alors que tout n'est plus que Voici, Ooops et Closer, autant dire que la littérature prend cher à sa gueule : faut-il ignorer Voyage au bout de la Nuit sous prétexte que son auteur est un connard antisémite ?
L'écrivain, je vous le rappelle, a l'humilité d'annoncer qu'il raconte des histoires. Le lecteur le sait. On en connaît par contre pas mal qui en racontent sans le dire. C'est bien plutôt de ceux-là dont il faudrait se méfier... non ?
"La merde a de l'avenir. Vous verrez qu'un jour on en fera des discours." L.F. Céline
"Sachez avoir tort. Le monde est rempli de gens qui ont raison. C'est pour cela qu'il écœure" L.F. Céline
Putain de merde.
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