mardi 9 décembre 2014

EUREKA STREET, de Robert McLiam Wilson (alias Bob)

Salut. On va faire un tour à Belfast ? Je te préviens, tu y poses un pied et 545 pages plus tard, tu veux plus jamais partir. C'est que ce bon vieux Bob, c'est un sorcier de pub, faut se méfier. Il commence tranquillou en contemplant son chat dans la lumière matinale : "J'ai cligné des yeux devant tous les oiseaux de Belfast dans l'immense ciel de Belfast. De l'autre côté de Lisburn Road, une minuscule femme de ménage a lancé quelques ordures par la porte du restaurant indien huppé. Une bande de chats a jailli de nulle part pour se mettre à table. J'ai reconnu le mien, il se défendait très bien face à ses congénères. C'était le gros sans testicules. J'ai songé à l'appeler pour son petit déjeûner, mais j'ai décidé de ne pas le déranger. Je n'aimais pas particulièrement mon chat. Il jouait un peu trop les putes."

(oh merde, je viens de chercher une photo de lui et au lieu de la salle vieille gueule de poivrot irlandais à laquelle je m'attendais, je tombe sur ça :
C'est quoi ce souk ? Si les bons écrivains au lieu d'être vieux, moches et morts, se mettent à avoir une belle gueule, je fais comment moi ??? Ah non. Mince. Même Levi-Strauss, il l'a dit, faut respecter les tabous ! On rêve pas de se taper un grand écrivain, voyons ! Foutue société de l'image...Y'a pas que du bon dans Intercannette... Je suis déçue, déçue, déçue... Et encore, je vous ai pas mis les plus belles... Enfoiré. Il vieillit même bien.)(bon, reprenons)(je vais ignorer cette information).


Une fois la balade dans Belfast achevée (qu'est ce que vous croyez ?)(que je vais vous refiler ses adresses ?)(c'est pas un blog style life ici), on est allé au pub et il a commencé à me présenter tout un tas de gens et en matière de présentation, Bob, il maîtrise, une vraie machine à faire payer des tournées.
Le père de Chuckie, d'abord (pour Chuckie, faudra lire le livre, c'est un type complexe, il a besoin de volume)(mais quelqu'un d'extrêmement important, attention) : "Pendant deux longues années, il refusa d'épouser la mère de Chuckie, dont il planta alors la graine. Il finit par l'épouser le jour du premier anniversaire de son fils. Ensuite, fatigué de l'opprobre des Lurgan et finalement exaspéré par la collection des portraits de pop stars années soixante de son épouse, il prit la poudre d'escampette, laissant derrière lui l'impression tenace qu'à défaut de se suicider il était parti pour l'Idaho." Voilà pour les absents.
Ensuite, il y a Max, la copine de Chuckie (je vous l'ai dit, c'est quelqu'un d'important) : "Grande mais dotée de tout ce qu'il fallait, elle arborait la saine chevelure des Américaines et ces dents yankees qui scintillent comme des bijoux. En la regardant, on comprenait comment on aurait dû vivre." (si tu comprends pas, c'est que t'as jamais vu d'Américains de la télé ni de publicités. Et c'est pas possible)(ou alors tu es mort depuis longtemps mais alors qu'est ce que tu fous ici ???). Grâce à Max, vous découvrirez la notion de rixe de pub post-moderne (ah oui, faut savoir que boire des bières avec Bob, ça finit en baston, c'est un rituel)(faut partir tant qu'il fait encore mine d'être content de son sort, après c'est foutu).
En parlant de Max, sa mère, elle paye aussi : "Mme Paxmeir était un fac-similé très approximatif de sa fille. Maigre et diaphane comme une feuille de papier à cigarette, elle arborait un sourire crispé par les coups de soleil et ses réticences. Malgré ses airs de dragon, Chuckie se trouva subjugué par son chic de présentatrice télé. On aurait juré que cette femme n'allait jamais aux toilettes." Alors, oui, c'est vrai, Bob, dès qu'il s'agit de l'Amérique et des Américains, il a la verve qui se dresse et qui cingle, pas désagréable. Sa description de New York avec tous ces gens qui singent les personnages des films comme un monde fictif inversé, c'est splendide, de grands enfants à qui on peut alors tout vendre.



Moi, j'veux qu'on m'en raconte encore des comme ça !
C'est un peu le problème de Bob d'ailleurs, comme il dit : "L'aura d'échec et de célibat que je dégageais provoquait ou encourageait peut-être leurs confidences. Mais il y a de quoi s'inquiéter quand trop de gens vous apprécient. L'affection des masses n'est pas toujours bon signe."
Il est pas prêt pour la télé-réalité, Bob, on serait tenter de chercher partout même pourquoi il n'a plus écrit de tel chef d'oeuvre. Mais faut pas se gâcher le plaisir, faut reprendre une pinte de Stout et tendre l'oreille parce que là, on va parler du monde extérieur, et on va pas se faire chier, Bob c'est pas Jean-Pierre Pernaut, attention :
"Faire des achats est la seule activité qui vous permette d'oublier que vous n'êtes pas en mesure de faire des achats." ça, c'est pour la rubrique économie. Passons à la politique.
"Oui, ai-je répondu à voix basse. J'ai un vrai problème avec la politique. J'ai étudié ce truc là. La politique, c'est comme les antibiotiques : un agent susceptible de tuer ou de blesser des organismes vivants. J'ai un gros problème avec ça."Je lui fais un bisou (7 en réalité) et je lui paye la prochaine tournée.



"La semaine précédente, Ronnie avait déclaré à Rajinder que pour lui les Noirs se ressemblaient tous. Le sourire de Rajinder avait été bien pâle. Je crois qu'il avait déjà entendu ce genre de remarque. Ce fut un moment affreux; néanmoins, pour être honnête avec Ronnie, j'ai dû reconnaître qu'à mes yeux aussi les Noirs se ressemblaient tous. Mais à dire vrai, les Blancs aussi se ressemblaient tous pour moi. A mes yeux, nous avions tous l'air plutôt moches." J'ai décidé que je dirai plus rien là-dessus, je laisse ceux qui écrivent des livres en causer, ils savent, ils sont capables, eux. La preuve : "De manière assez intéressante, les durs à cuire protestants / catholiques adoraient flanquer des raclées mémorables et routinières aux catholiques / protestants, même si ces catholiques / protestants ne croyaient pas en Dieu et avaient solennellement renconcé à leur ancienne foi. Il n'était pas sans intérêt de se demander ce qu'un bigot d'une confession donnée pouvait reprocher à un athée né dans une autre confession. Voilà ce qui me plaisait dans la haine version Belfast. Il s'agissait d'une haine pataude, capable de survivre confortablement en se nourrissant de souvenirs de choses qui n'ont jamais existé." Ma main à couper que y'a d'autres endroits où ça ressembleraient aussi à ça.
Mais, attention, il s'agit de Bob, et on va pas passer à côté des chaumières sans s'arrêter :
"La somptueuse et paresseuse majorité du monde ne se fera jamais couillonner à écrire quoi que ce soit nulle part et, de toute façon, elle ne saurait pas quoi écrire. Son esprit permissif, clément, hétérogène, changerait d'avis à mi-chemin." (on dirait moi...)
Et ensuite, Bob, il vous assène son coup de grâce, mais vous savez, LA grâce, il se dévoile en grand shaman de la pinte, beau, si beau :
"En effet, alors que vous regardez à la lisière de votre champ visuel éclairé, vous apercevez les immeubles et les rues où cent mille, un million, dix millions d'histoires sombres, aussi vivaces et complexes que la vôtre, résident. Le divin ne va jamais plus loin que ça."

Après ça, il faut régler la note et partir. Il va pas tarder à cogner.

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